Être étudiante en temps de pandémie: ma chambre insulaire

 

8h le matin, la douce lumière brille, entre dans ma chambre et me réveille. Je la prends à cœur ouvert, c’est pratiquement la seule lumière que je côtoie depuis trop longtemps. Je me fais un smoothie au matcha et au melon en dansant sur du Daniel Bélanger en espérant que ça aidera mon moral.

9h, je prends mon ordinateur sur le bureau et je démarre mon cours, c’est l’exaltation. Le meilleur moment de la journée où je peux enfin converser avec des humains, des artistes, des gens seuls comme moi. Le prof nous sépare en petite salle pour discuter de nos travaux respectifs, mais quand on rentre en salle, il y en a toujours un qui adresse le “comment ça va”. Alors, on adresse la situation, on refait le monde. Un monde blessé dans lequel on vit, on vivote. On a l’impression de tous se comprendre alors qu’on ne s’est jamais vus en vrai, on ne s’est jamais touchés, sentis, ressentis. La réunion termine dans 40 secondes, et, comble de malheur, on réalise qu’on n’a pas parlé de nos travaux. On se dit un bye mélancolique et on retourne dans notre groupe de 70. Le prof revient sur l’exercice et on sait tous très bien qu’on est de très bons acteurs jouant dans un film inédit.

12h Le cours se termine. En rêve, voir ma classe, voir mon établissement scolaire, ressentir les humains qui l’habitent, qui l’animent. Objet d’un fantasme. Il n’y aurait pas une anomalie à quelque part? Un non-sens?

12h 15, je me commande de la nourriture pour contrer ma solitude.

12h30, ça sonne à la porte. Ah bon? Ah oui, la commande. J’ouvre avec un engouement exagéré espérant faire un face à face avec un humain de mon âge ou pas. J’entame une conversation avec lui, je ne veux pas le laisser partir, je voudrais le serrer dans mes bras. Le sentir, le ressentir. Une étreinte mémorable dans mon imaginaire. Mais que se passe-t-il avec moi?

13h, à nouveau je me retrouve seule dans ma chambre, mon habitation, mon repère, mes quatre murs, mon lieu d’éducation, ma piste de danse, mon bureau, mon île, seule avec mon éternel existentialisme qui dirige mes pensées, la nature de notre société, notre perceptive d’avenir, mes stages… Chaos. Les stages? Mais quels stages? Tu ne peux pas en avoir. Si on ne peut pas avoir de perspective d’avenir quand tu as 20 ans que reste-t-il? Que nous reste-t-il? La culpabilité, la peine, la colère, la déprime, alors que ce n’est pas dans ton habitude.

15h, Je me calme et je sors dehors. Un peu d’air frais ne fera pas de tort. Le smog de la ville flotte au-dessus de ma tête, la neige est sale, les autos hystériques klaxonnent, les gens vivant dans la rue se sentant coupables d’être tristes. Invalidés mes sentiments de femme blanche occidentale, confortable. J’essaie de profiter de la chaleur mais prendre conscience que c’est l’objet des changements climatiques qui menacent le futur de l’humanité. La neige est sale, il n’y a rien à faire. Je mets mes écouteurs et je rentre à la maison.

16h, seule, épuisée, je m’étends sur mon lit et je m’endors. Je fais un rêve. L’arrivée d’un virus change la conscience des gens. Je rêve qu’un confinement obligatoire amène les gens à se réinventer. Les gens développent alors un sens de la communauté fortement teinté par l’entraide. Je rêve à une démondialisation. Je rêve à la mise à l’avant de la culture, de l’art, surtout un modèle éducatif alternatif, des câlins à profusion, l’amour, l’accomplissement d’une société renaissante.

18h Tu es tellement idéaliste.

Je me réveille, seule dans ma chambre insulaire

Sarah-Jeanne Mantha