Prendre au sérieux les craintes des mères – La Presse+

MON CLIN D’ŒIL

Finalement, Home Alone, c’était un film prémonitoire.

PROTECTION DES ENFANTS

PRENDRE AU SÉRIEUX LES CRAINTES DES MÈRES

Le décès de la fillette de Granby, dans des circonstances troublantes, a fait couler beaucoup d’encre au cours des dernières années. Nous avons parfois l’impression que tout a déjà été écrit.

Le rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (commission Laurent) recommande plusieurs changements et un projet de réforme de la Loi sur la protection de la jeunesse a été déposé récemment à l’Assemblée nationale.

Dans sa chronique du 18 décembre, Patrick Lagacé soulignait que « la grand-mère avait raison1 ». Si je ne partage pas entièrement son analyse et déplore le ton méprisant qu’il adopte à l’endroit de la mère de la fillette, il souligne l’importance de prendre davantage au sérieux les craintes exprimées par les femmes concernant la sécurité des enfants.

Il y a effectivement un point commun entre cette situation et plusieurs autres situations que j’ai rencontrées au cours des dernières années : une femme – habituellement la mère, parfois la grand-mère – exprime des craintes concernant la sécurité d’un enfant, mais ces craintes ne sont pas prises au sérieux.

Au contraire, elle est accusée d’exagérer, d’être trop anxieuse, de transmettre son anxiété à l’enfant, d’être hostile ou d’être aliénante. Selon les intervenants, la femme agit ainsi parce qu’elle a des problèmes de santé mentale ou parce qu’elle tente de se venger de son ex-conjoint.

Dans sa chronique, Patrick Lagacé déplore le fait que les intervenants et les tribunaux maintiennent les liens de sang à tout prix, au détriment de la sécurité des enfants, un point de vue que je ne partage pas. La situation de la fillette de Granby montre d’ailleurs qu’ils n’accordent pas la même importance à tous les liens de sang.

En fait, ce qui est problématique, dans cette situation et dans les autres situations auxquelles je fais référence, c’est la volonté des intervenants et des tribunaux de maintenir un maximum de contacts entre les enfants et leur père, même lorsque ce dernier a un schéma de comportements violents. Dans ce contexte, les intervenants ont tendance à adopter une attitude complaisante à l’égard du père. Ils ne réalisent pas une évaluation en profondeur de son schéma de comportements violents, ils ont très peu d’exigences et se contentent de changements mineurs, qui ne sont même pas nécessairement des indicateurs d’une diminution des comportements violents. Souvent, il n’est même plus question de violence, mais plutôt de conflits parentaux ou de conflits sévères de séparation. Et si les femmes expriment des craintes, elles risquent d’être accusées d’alimenter le conflit et de nuire à la relation père-enfant.

Dans ces circonstances, les comportements prétendument « aliénants » des mères sont perçus comme étant beaucoup plus graves que les comportements violents des pères.

Les conséquences sont d’ailleurs lourdes pour ces femmes, dont certaines ont même perdu la garde de leurs enfants.

Il est extrêmement préoccupant de constater que, malgré les recommandations de la commission Laurent et celles du rapport Rebâtir la confiance, le projet de réforme de la Loi sur la protection de la jeunesse demeure muet sur la question de la violence conjugale. Toutes les mesures déployées au cours des derniers mois pour assurer la sécurité des victimes de violence, y compris les tribunaux spécialisés et les cellules de crise, risquent d’être bien peu efficaces si les craintes exprimées par les femmes et par les enfants ne sont pas davantage prises au sérieux et si les intervenants et les tribunaux dans les secteurs du droit familial et de la protection de la jeunesse continuent d’avoir une attitude complaisante à l’égard des hommes qui ont des comportements violents.

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